Je terminais mon dernier article sur la montée de l’affirmation nationale du Québec. Je tiens, à ce stade, à souligner que je me concentre exclusivement sur les lois linguistiques concernant la langue française. Si je débute par cette information, c’est parce qu’un certain nombre de lois concernent les langues amérindiennes. Si je ne les aborderai pas, c’est que l’enjeu soulevé n’est pas du même ordre.
La montée du nationalisme d’affirmation, si je peux me permettre l’expression, s’inscrit dans une période marquée par le conservatisme du gouvernement québécois. L’affirmation nationale s’inscrivait dans une mouvance mondiale qu’était la sociale-démocratie : elle réclamait la nationalisation de l’hydroélectricité, la nationalisation et une certaine laïcisation de l’éducation ainsi que la mobilité sociale des francophones, entre autres choses.
En 1960, la mort de Maurice Duplessis, Premier ministre du Québec sous la bannière de l’"Union nationale" de 1944 à 1959, signifia la fin de son parti politique malgré un bref retour au pouvoir de 1966 à 1970. Le Parti Libéral prit le pouvoir et commença une série de réforme allant dans le sens de la modernité : le mouvement nationaliste voyait certaines de ses réformes proposées se concrétiser. Un des ministres vedettes de ce parti, René Lévesque, ancien correspondant de guerre et journaliste à Radio-Canada très célèbre pour son émission "Point de Mire" où il vulgarisait les enjeux du moment, cru que le Québec était plus à même de se gouverner s’il faisait cavalier seul. Il fonda en 1968 le MSA (Mouvement Souveraineté-Association) qui prôna la souveraineté politique du Québec doublée d’une association économique avec le reste du Canada. Il fut désavoué par le chef du Parti libéral Jean Lesage et quitta le parti avec quelques députés. Cela l’incita a fondé le Parti Québécois (PQ) cette même année.
Dans le même temps, en 1963, un parti prônant clairement l’indépendance du Québec, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), vit le jour. Son succès électoral fut mitigé et son électorat concentré à Montréal. À l’extérieur de l’île montréalaise, le Rassemblement national, aile dissidente du RIN, avait aussi un succès électoral mitigé. En 1968, ces deux partis se fusionnèrent au Parti Québécois.
Cependant, avant l'arrivée au pouvoir du PQ en 1976, plusieurs événements ont mobilisé le nationalisme québécois sur la question linguistique. Au Québec, les écoles, gérées par les commissions scolaires, devenaient un enjeu politique important sur l’apprentissage de la langue.
Sur l’île de Montréal, en 1968, la commission scolaire de St-Léonard, à forte composition allophone, décida d’imposer l’utilisation du français dans ses établissements. La communauté italienne, concentrée à St-Léonard, s’insurgea contre cette décision. La Loi pour promouvoir la langue française au Québec promulgua donc le libre choix des parents pour l’utilisation de la langue d’enseignement (anglais ou français) tout en s’assurant que le français soit enseigné de façon adéquate aux établissements dont la langue de fonctionnement serait l’anglais. La loi fut abrogée en 1977 avec la création de la Charte de la langue française.
En 1969, au niveau fédéral, la Loi sur les langues officielles fut adoptée. De par cette loi, toute société de la Couronne devait alors être dans la possibilité de servir les citoyens dans l’une des deux langues officielles du Canada, soit l’anglais ou le français.
Remettons quelque peu cette loi dans son contexte. Le Parti libéral du Canada, sous la présidence de Pierre Elliot Trudeau, offrit une guerre ouverte aux nationalistes québécois. La vision du Trudeau, juriste de formation, était fondée sur un individualisme qui rejetait toute prétention à une appartenance nationale. Sans m’étendre sur les raisons qui motivaient son choix, le but de Trudeau était de réduire le plus possible les prétentions indépendantistes du Québec. Ainsi, devenu Premier ministre du Canada en 1968, il voulait couper l’herbe sous le pied des nationalistes qui se plaignaient que les sociétés fédérales n’offraient que des services en anglais. C’est dans cette optique que Trudeau fit adopter la Loi sur les langues officielles. Cependant, une clause limita la portée de cette loi au district bilingue déterminé par le gouvernement fédéral.
Article 12
Districts bilingues fédéraux
En conformité des dispositions de la présente loi et des termes de tout accord que peut conclure le gouverneur en conseil avec le gouvernement d'une province, comme le mentionne l'article 15, le gouverneur en conseil peut, à l'occasion, par proclamation, créer dans une province un ou plusieurs districts bilingues fédéraux (ci-après appelés dans la présente loi « districts bilingues») et modifier les limites des districts bilingues ainsi créés.
Article 13
(1) Un district bilingue créé en vertu de la présente loi est une subdivision administrative délimitée par référence aux limites de l'une, de plusieurs ou de l'ensemble des subdivisions administratives suivantes: un district de recensement créé en conformité de la Loi sur la statistique, un district municipal ou scolaire, une circonscription ou région électorale fédérale ou provinciale.
(2) Une subdivision visée au paragraphe (1) peut constituer un district bilingue ou être incluse totalement ou partiellement dans le périmètre d'un district bilingue, si
a) les deux langues officielles sont les langues maternelles parlées par des résidents de la subdivision; et si
b) au moins dix pour cent de l'ensemble des résidents de la subdivision parlent une langue maternelle qui est la langue officielle de la minorité linguistique dans la subdivision.
(3) Nonobstant le paragraphe (2), lorsque le nombre des personnes appartenant à la minorité linguistique, dans une subdivision visée au paragraphe (1), est inférieur au pourcentage requis en vertu du paragraphe (2), la subdivision peut constituer un district bilingue si, avant le 7 septembre 1969, les services des ministères, départements et organismes du gouvernement du Canada étaient couramment mis à la disposition des résidents de la subdivision dans les deux langues officielles.
Les districts bilingues ne furent pas établis et l’application de la loi fut donc basé sur un principe plus vaste qu’on appelle couramment « là où le nombre le justifie ».
De retour sur la scène québécoise, la crise soulevée en 1969 par les allophones italiens continua de faire des remous. En 1974, sous le règne du libéral Robert Bourassa, la Loi sur la langue officielle, appelé familièrement (et ironiquement) Bill 22, fit du français la langue officielle du Québec. Cette loi ne reniait pas les droits acquis des anglophones en territoire québécois mais ses dispositions visaient essentiellement à intégrer les allophones à la culture québécoise.
Cette dernière loi fut abrogée lors de l’adoption de la Charte de la langue française ("loi 101") en 1977 sous le gouvernement de René Lévesque. La loi initiale a une grande portée dans tous les domaines : l’officialisation du français comme seule langue officielle du Québec, l’affichage commercial, la langue d’enseignement, la langue de fonctionnement du travail et des institutions, etc. Elle força la francisation de l’administration québécoise et voulait faire du français la langue usuelle dans tous les champs d’activité au Québec. Auparavant, le Québec était la seule province qui, de facto, pratiquait le bilinguisme institutionnel. Pour plus de détails, voici le lien de la loi initiale :
L’effervescence nationaliste battait son plein et le premier référendum de 1980 eut lieu. L’option pour l’indépendance du Québec fut défaite puisqu’elle ne récolta que 40% des voix. L’une des anecdotes de cette campagne référendaire fut ce que Pierre Elliot Trudeau déclara au Québec : « Un non, c’est un oui pour le changement. » Cela sera d’ailleurs le cas en ce qui concerne la défense du français en territoire québécois…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire