mercredi 15 février 2012

Vu du Québec : Historique des lois linguistiques canadiennes (suite et fin : de 1982 à nos jours)


La fin de la période précédente, marquée par le rapatriement de la Constitution canadienne et l’enchâssement au-dessus de celle-ci de la Charte des droits et libertés, fut le précurseur d’une période de grande turbulence pour la paix sociale canadienne. Autant à l’Ouest qu’à l’Est, la refonte du Canada sur des principes individualistes n’alla en effet pas sans poser problème. Je me concentrerai sur les répercussions de ceux-ci au Québec.

 
Cette turbulence se traduit par le nombre de cas dont la Cour Suprême fut saisie dans les premières années de cette période. Devenue l’ultime instance juridique avec le rapatriement de la Constitution (auparavant une simple loi britannique), elle devint donc l’interprète des lois canadiennes.

Mentionner qu’elle en devint l’interprète est peu dire parce qu’elle se posa par la même occasion en véritable défenderesse de la nouvelle mouture constitutionnelle. En effet, la Charte des droits et libertés se trouve, dans la hiérarchie des normes, au-dessus de la Constitution canadienne, ce qui équivalait à dire que les lois canadiennes devaient être scrutées à la loupe pour s’assurer qu’elles étaient conformes aux nouvelles valeurs constitutionnelles.

Avant que ce travail ne fût effectué, ce sont les différents groupes de pression qui avaient pour habitude de saisir la Cour Suprême. Au nom de leurs membres (et donc des droits individuels), ils réussirent à faire avancer certains droits collectifs.

Les exemples les plus marquants furent sans conteste les multiples attaques menées contre la Charte de la langue française au Québec. On citera entre autre le cas d’un groupe militant pour l’instauration de l’anglais comme seconde langue officielle dans cette province qui fut créé en 1982 sous le vocable d’Alliance-Québec.

La première avancée contre la « loi 101 » en vigueur au Québec fut rendue possible par  une décision de la Cour Suprême lorsque cette dernière abrogea les dispositions concernant la langue de l’administration publique (les lois et les tribunaux redevenant accessibles en anglais sans préséance du français). Les dispositions concernant l’affichage obligatoire en français furent aussi invalidées.

En 1988, le gouvernement québécois répliqua avec la « loi 178 » qui assurait la préséance de la langue française dans l’affichage. En fait, le gouvernement du Québec utilisa la clause « nonobstant » permettant à une province de se soustraire aux effets de la Charte des droits et libertés afin d’appliquer cette loi. Elle déterminait donc que le Québec ne pouvait interdire l’anglais comme langue d’affichage mais qu’elle pouvait imposer  la « cohabitation » de cette langue avec le français. En 1993, la « loi 86 » remplaça la « loi 178 » afin d’éliminer le recours à la clause « nonobstant ».

Concernant l’éducation, la « loi 101 » limitait la fréquentation de l’école anglaise aux enfants dont les parents avaient fréquenté ces écoles. Plusieurs regroupements de parents anglophones, mais ayant fréquenté des établissements situés à l’extérieur du territoire québécois, d’allophones et de francophones voulant envoyer leurs enfants dans un établissement anglophone furent formés. La Cour Suprême fut saisie de cette question et annula les dispositions de la loi touchant l’éducation primaire et secondaire et empêchant en principe à ces parents d’inscrire leurs enfants dans des établissements anglophones.

En 2002, le gouvernement du Québec adopta la « loi 104 », dont l’une des clauses se rapportait à la langue d’enseignement afin de raffermir l’accès à l’école française. Cette clause fut rejetée par la Cour d’Appel du Québec (plus haute instance judiciaire provinciale) en 2007 puis par la Cour Suprême du Canada en 2009.

De plus, la « loi 104 » créait l’Office québécois de la langue française dont la mission consistait à « définir et conduire la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique et toponymique, de terminologie et ainsi que de francisation de l’Administration et des entreprises », ainsi que de faire respecter la Charte de la langue française. La loi créait également le Conseil supérieur de la langue française pour conseiller le ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française.

De retour sur la scène fédérale en 1988, le gouvernement corrigea la loi de 1969 sur les langues officielles pour en adopter une nouvelle version. La loi précisa davantage la portée de l’application de la cette législation. En effet, les districts bilingues n’ayant jamais vu le jour, la nouvelle loi devait considérer ce fait afin de pouvoir être applicable. Plus spécifiquement, en 1991, un règlement sur les langues officielles fut adopté afin de délimiter la portée concernant les communications et la prestation des services au public, consacrant la formule du « là où le nombre le justifie » (voir texte précédent).

En 2002, le gouvernement fédéral adopta la Loi sur la réédition de textes législatifs afin de réécrire la législation qui n’avait pas été écrites dans les deux langues officielles. La loi accordait un effet de rétroactivité s’il y avait eu une erreur d’interprétation lors des jugements précédents.

Ainsi s’achève cette saga historique consacrée à l’évolution des lois linguistiques au Québec. Plusieurs débats furent mis de côté afin d’alléger le texte et seule une légère mise en contexte a été faite afin de ne pas tomber dans un récit historique complet. Cette dernière période est marquée par une certaine judiciarisation du débat. De plus, l’enchâssement de la Charte des droits et libertés, basé sur des principes libéraux, fut souvent interprété au Québec comme un affront à ses aspirations collectives. La promesse de Trudeau mentionnée à la fin du dernier texte et consistant à promettre de changer le fédéralisme canadien a été tenue, certes. Mais il convient de garder à l’esprit que son allocution fut empreinte d’une certaine malhonnêteté intellectuelle. Car nul ne sait encore aujourd’hui ce qu’il entendait réellement par là. Le Québec s’est d’ailleurs senti trahi par le rapatriement unilatéral de la constitution canadienne et, à ce jour, l’ensemble des gouvernements québécois, indépendantistes comme fédéralistes, ont toujours refusé de ratifier la Constitution de 1982.

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