Dès la publication de mon texte introductif, une question m’a été adressée et je prendrai ces quelques lignes allouées pour tâcher d’y répondre au mieux de ma connaissance. Je vous invite d’ailleurs à vous aussi poser vos questions, ce qui animera davantage ma chronique.
L’objet de la question portait sur la représentation de la minorité anglophone à Montréal. Je tenterai le plus possible de vulgariser ma réponse car les institutions montréalaises nécessiteraient facilement un cours universitaire pour bien s’en sortir. D’ailleurs, la semaine dernière (20 octobre), lors de l’émission Infoman, émission hebdomadaire journalistique mais satirique, un journaliste a dû recourir à la Loi sur l’accès à l’information afin de trouver l’organigramme de certaines des municipalités et arrondissements. Un pan de mur complet ne suffisait pas pour afficher l’ensemble des structures et sous-structures de la Ville de Montréal.
Pour débuter, un bref historique s’impose. Après la Guerre d’Indépendance américaine, les colons qui ont soutenu la Couronne britannique sont venus se réfugier sur les territoires relevant toujours du roi d’Angleterre. Ils se sont installés près des Grands-Lacs (dans la région qui deviendra l’Ontario), en Estrie (sud du Québec) et auprès des commerçants anglophones de l’ouest de l’île de Montréal. Les comptoirs commerciaux de l’Empire devenaient alors peu à peu des municipalités alors que les habitants francophones résidaient dans l’est de l’île.
Un peu comme toutes les villes modernes, les différents villages se sont étendus et les limites territoriales sont progressivement quelque peu devenues caduques. Cependant, jusque tout récemment, chaque municipalité gardait ses prérogatives. En effet, avant l’épisode des fusions et « défusions » municipales, l’île de Montréal comprenait 28 municipalités, indépendantes dans leur gestion interne. Par contre, certaines routes et autoroutes s’étendant sur plusieurs municipalités, un comité intitulé « Communauté urbaine de Montréal » administrait, en concertation avec les maires, certains services.
En 2001, le maire de Montréal (la ville centre) se présenta aux élections avec le slogan « Une île, Une ville ». Le but était de centraliser les actions afin de rendre les politiques publiques plus cohérentes. Plusieurs municipalités (notamment celles qui étaient à majorité anglophone) se sont insurgées devant cette proposition . Maintes raisons furent soulevées mais deux furent plus utilisées : l’identité et l’économie.
Pour prendre un exemple belge, un Liégeois n’est pas un Namurois qui n’est pas un Carolo. Sur l’île, puisque chaque municipalité a son histoire, chaque municipalité a son identité. Sur une île faisant cinquante kilomètres de long sur seize kilomètres au point le plus large, les disparités entre les municipalités sont vives et, parfois, très profondes. De plus, certaines municipalités à majorité anglophone avaient juridiquement un statut bilingue. La peur de la perte de ce statut, qui démontrait l’attachement particulier des habitants à leurs instances municipales, alarmait la population de langue anglaise.
D’un point de vue économique, les municipalités anglophones sont souvent plus riches que leurs pendants francophones. Que ce soit Westmount ou Outremont, Baie d’Urfé et autres villes à majorité anglophone, on retrouve bien souvent dans ces villes les élites économiques anglophones du Québec. Bien que l’écart des revenus moyens entre francophones et anglophones ne soit plus réellement significatif depuis près de 20 ans, l’élite économique francophone ne réside pas à Montréal et les municipalités de langue française de l’île sont souvent issues du prolétariat. La fusion de l’ensemble des villes de Montréal permettait donc aussi à la « Ville-mère » d’avoir à sa disponibilité davantage de revenus. En effet, les villes anglophones étant moins taxées, la fusion aurait uniformisé les taux de taxation en leur défaveur, ce qui n’était pas accepté par leurs habitants.
Aussi, il faut mentionner que les pouvoirs des municipalités ne sont pas inscrits dans la Constitution et relèvent de la compétence de la Province. La fusion s’étant effectuée sous le règne du Parti Québécois, le Parti Libéral fit donc de la défusion municipale un enjeu des élections de 2003. Par référendum, les populations concernées pouvaient se « défusionner ». Les libéraux remportèrent les élections et le processus commença. S’ensuivit un chaos administratif qui pourrait ranimer les études en science politique sur les administrations municipales. La loi de 2006 consacra la défusion.
Aujourd’hui, certaines municipalités sont « défusionnées » (les villes sont « reconstituées », dans le jargon montréalais), comme les municipalités de l’Ouest de l’île, à majorité anglophone. Ces arrondissements (c’est le terme technique utilisé pour désigner les villes reconstituées) au sein de la structure montréalaise ont moins de pouvoir qu’auparavant mais ils jouissent de leur indépendance. Ils sont aussi tous représentés au Conseil d’agglomération qui regroupe également les élus du Montréal fusionné. Je vous réfère au site de la Ville de Montréal pour ceux qui seraient intéressés à approfondir le sujet.
Pour augmenter la complexité, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) regroupe 82 municipalités qu’elles soient de l’île de Montréal ou de sa banlieue sur les rives nord et sud du fleuve Saint-Laurent. La CMM regroupe environ 49% de la population du Québec et 49% de son PIB. Elle est un organisme de concertation entre les différents maires afin de planifier, de coordonner et de financer leur territoire.
Ainsi, il n’y a pas de véritables structures institutionnelles concernant la représentation anglophone. De tradition anglo-saxonne dans notre conception de penser le droit, ce sont les droits et libertés individuelles garanties par les lois québécoises et canadiennes qui défendent le choix linguistique de l’individu. Le bilinguisme des institutions municipales de certaines villes à majorité anglophone est d’ailleurs la résultante de la Charte des droits et libertés du Québec de 1977. Bien que le Québec soit la seule province ayant opté pour la langue française comme langue officielle (le Nouveau-Brunswick et le Canada sont bilingues, les autres provinces sont anglophones), l’anglais peut être enseigné par des écoles publiques si le nombre le justifie. De même, plusieurs écoles anglophones privées existent mais l’histoire du système scolaire québécois est une autre histoire…
Au niveau québécois, certaines circonscriptions à majorité anglophone élisent des députés de langue anglaise. Il n’y a pas de règles obligeant une représentation minimale des anglophones au sein du conseil des ministres mais, bien souvent, plusieurs sont bilingues. Fait anecdotique, jusque dans les années 50, la tradition voulait que le Ministre des Finances soit de langue anglaise puisque l’économie était dominée par les banques et les compagnies anglophones. L’affirmation nationale québécoise changea peu à peu cette réalité lors de ce qu’on appela la Révolution Tranquille dans la décennie 60-70.
Pour de plus amples informations sur les fusions et les défusions municipales au Québec, je vous conseille de visiter le site développé à cet effet par la Société Radio-Canada.
A la semaine prochaine !
Eric Berthiaume
Et un habitant de Laeken n'est pas un Ixellois qui n'est pas un Ucclois... communes - municipalités, même combat :)
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