Une année se termine, une autre débute. Au Québec, depuis près de 50 ans, la diffusion sur la télé publique de la Société Radio-Canada (SRC) d’une revue de fin d’année fait parler d’elle de par sa qualité, son cynisme mais aussi et surtout par l’humour qu’elle contient. Depuis quelques années, cette revue, intitulée « Bye Bye », est au cœur d’une guerre que se livrent les empires médiatiques.
Bref portrait des grands joueurs au Québec. Gesca est la division médiatique de Power Corporation du Canada, un conglomérat dirigé par Paul Desmarais. Pour l’anecdote, il semblerait que ce dernier est l’un des instigateurs de l’élection de Nicolas Sarkozy. Gesca a une entente avec la Société Radio-Canada : plusieurs des analystes reliés aux principaux journaux de Gesca ont une tribune à la SRC. De plus, le principal journal de Gesca, « La Presse », possède un tirage quotidien de 200 000 copies (285 000 le samedi). La SRC et Gesca recouperait environ 35% des médias québécois (Gesca possède plusieurs journaux locaux).
De l’autre côté, Quebecor Media, division de Quebecor World, dirigé par Pierre-Karl Péladeau, est une entreprise québécoise qui possède des maisons d’éditions, des journaux nationaux et locaux, une chaîne de télévision (TVA), une chaîne de magasins vendant DVD, CD, livres et magazines (Archambault). Vidéotron, division de Quebecor Media, est une entreprise de télédistribution qui offre Internet, GSM, et des décodeurs télé comme Belgacom le fait. « Le Journal de Montréal », principal journal de Quebecor Media, possède un tirage quotidien de 380 000 exemplaires, 450 000 le samedi. Quebecor recoupe environ 45% des médias consultés par la population québécoise.
La guerre est donc très vive entre la SRC et TVA pour les émissions de fin d’année mais le « Bye Bye » est une institution bien établie dans le temps. Les grands ténors de l’humour québécois y ont fait une apparition depuis 1968, ce qui en fait un classique de la période des Fêtes. Cependant, l’humour satyrique, les intérêts économiques et la concurrence médiatique ont apporté un éclairage nouveau à cette revue de fin d’année.
Il est de bon ton de savoir rire de soi-même. Mais, depuis quelques années, lors des « Bye Bye », la caricature du propriétaire de Quebecor revient annuellement. Tantôt en être avaricieux caricaturé en Séraphin (voir ma chronique précédente), tantôt en magnat des finances (il est un homme d’affaires hors pair). Il est devenu cette année une figure médiatique puisqu’il collabore au retour d’une équipe professionnelle de hockey dans la ville de Québec. À titre de comparaison, la frénésie du hockey ici est semblable à celle que suscite le football en Europe. Cependant, en pleine concurrence, la critique constante du principal compétiteur devient un risque.
Le ton a alors monté. Les critiques artistiques de l’empire Quebecor qui commentent la programmation télévisuelle sont maintenant unanimement mécontents des émissions « radiocanadiennes » et les éditorialistes critiquent vertement les prises de position de Power Corporation et de la SRC. Une réaction en suscitant une autre, la réponse ne tarda pas à venir et la SRC ainsi que La Presse dénoncent aujourd’hui les prises de position de Quebecor. Bien entendu, rien ne se fait de façon totalement ouverte et les journalistes se défendent de devenir subjectifs.
Cependant, cette concurrence affecte aussi tout un pan de la diffusion de l’information. « Le Journal de Montréal », réputé pour son sensationnalisme, est le quotidien le plus lu. Les autres journaux doivent donc s’ajuster à cette réalité pour augmenter leur nombre de lecteurs. TVA, aussi réputée pour son sensationnalisme, ne fait que très peu place aux analyses de fond et ses journalistes choisissent souvent les nouvelles polémiques ou qui s’accordent avec l’opinion publique. Ainsi, la série « Le Québec dans le rouge », publiée par « Le Journal de Montréal » et diffusée sur TVA, accablait les finances publiques québécoises. Bien entendu, pour ne pas se perdre dans les nuances, plusieurs détails furent omis. Cette convergence des médias martèle donc un message de façon continue et coordonnée.
Puisque ces deux derniers médias sont les plus populaires, la SRC et Gesca ont dû adapter quelque peu leurs façons de faire pour élargir leur auditoire. Ainsi, dans les années 70, on voyait l’analyste dans un habit terne et sans aucune émotion. Aujourd’hui, les journalistes décontractés font leur reportage avec des variations et de la vivacité dans la voix, montrant leur passion pour leur métier. Si ce n’est pas mauvais en soi, l’adaptation fut faite en réaction à l’attitude du concurrent, comme l’augmentation des faits divers par rapport aux analyses, lesquelles ne cessent de diminuer.
Bien entendu, la question nationale y a aussi sa place. Une des missions de la SRC est l’unité canadienne et les reportages sont ainsi réalisés en ce sens. La majorité des commentateurs n’hésitent pas à afficher leur attachement au Canada. Dans un souci d’équité, quelques chroniqueurs indépendantistes disposent d’un temps d’antenne. Il est certes normal qu’une société financée par le gouvernement fédéral promeuve son option, mais cela entre souvent en contradiction avec la neutralité journalistique.
Chez Quebecor, l’important est de s’accorder avec l’opinion publique. Ainsi, des commentateurs de toutes les allégeances prônent leurs idées sans retenue, ce qui affecte aussi la neutralité journalistique. Certains rétorqueront que les commentateurs ne sont pas tenus par cette neutralité. Par contre, lorsque ces derniers occupent une place prépondérante par rapport aux journalistes, on peut s’interroger sur la qualité du message diffusé. De plus, la nouvelle ligne éditoriale est clairement à droite, voire réactionnaire, surtout si l’opinion publique adopte cette position.
Dans cette guerre entre géants médiatiques, les émissions de variétés deviennent donc la première ligne de front pour convaincre les auditeurs du bien-fondé de leur choix télévisuel. À l’abri de l’humour utilisé, c’est un certain renforcement positif qui s’effectue. Il devient donc essentiel de conserver l’esprit critique face aux informations qui nous sont diffusées. Au Québec comme ailleurs…
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