mercredi 17 avril 2013

A tribute to Maggie


Je voudrais vous parler ici de Maggie. Maggie De Block ? Non, pas elle, même si j’apprécie beaucoup son style et sa gestion de la délicate question de notre politique migratoire, alliant à la fois humanité mais aussi fermeté quant aux principes dans un domaine dans lequel nous avons, trop longtemps, péché par laxisme. Maggie, cette série décapante qui vit Rosy Varte donner la réplique à Marthe Villalonga et Jean-Marc Thibault ? Non plus, même si, étant plus jeune, j’eus moi aussi ma période « Maggie » (« Elle voit souvent rouge, tatatatata... »…hum ! pardon…)

Non, je m’en vais vous parler de ce monstre terrifiant et absolument immonde que fut Margareth Thatcher. Thatcher. « La Dame de Fer ». « L’ultralibérale ». « La sorcière ». Celle dont on célèbre la mort jusqu’au cœur de Londres. Celle dont Renaud (grand poète devant l’Eternel) chantait : « Moi je me changerai en chien / Si je peux rester sur Terre / Et comme réverbère quotidien / Je m’offrirai Madame Thatcher ». Celle dont même Guy Verhofstadt, surnommé à ses débuts (non sans raison) « Baby Thatcher », renie aujourd’hui l’héritage, préférant comme compagnon de route Daniel Cohn-Bendit, alias « Dany le Rouge »...

Et pourtant…au-delà des caricatures et des raccourcis, il y a quelque chose de choquant face à cette déferlante de haine contre une femme d’Etat qui aura, quoiqu’on en pense, changé le Royaume-Uni. D’autant plus qu’il apparaît assez clairement que l’on connaît peu ou pas Lady Thatcher.



Margareth Thatcher est née en 1925 dans la ville de Grantham. Dans une famille de la haute bourgeoisie ? Dans un milieu aristocratique ? D’une mère ministre et d’un père avocat ? Pas du tout. 

La « néolibérale » Thatcher naît dans une famille relativement modeste. Son père est un épicier de quartier. Sa mère, couturière. Ses grands-parents étaient respectivement cordonnier et cheminot.

Elève brillante, elle termine ses études secondaires grâce à une bourse puis poursuit, toujours comme boursière, des études universitaires en entrant sur concours à Oxford où elle obtient un diplôme de chimiste avant de poursuivre des études de droit, parallèlement à sa carrière professionnelle dans le privé.

En 1959, membre du Parti conservateur, elle est pour la première fois élue députée à la Chambre des communes. Elle sera systématiquement reconduite jusqu’en 1992, c’est-à-dire pendant 33 ans. Beaucoup doivent avoir du mal à comprendre comment des électeurs ont pu systématiquement reconduire un être aussi monstrueux…

Femme politique dans une Angleterre encore très sexiste, Margareth Thatcher réussit à se frayer un chemin et à gravir les différentes marches du pouvoir.

Elle entre une première fois au gouvernement en 1961. Elle est alors « Junior Minister » (l’équivalent de nos Secrétaires d’Etat) et est chargée…des retraites et de l’assurance sociale. Elle est alors  notamment choquée par le fait que l’on « paie davantage une femme quand elle est sans-emploi que quand elle travaille ».

Féministe, Thatcher ? Un peu, assurément. Consciente de la faiblesse des retraites, elle soutient le développement des retraites par capitalisation afin d’assurer une plus grande sécurité aux épargnants.

De 1964 à 1970, elle est porte-parole de son parti (entretemps renvoyé dans l’opposition) à la Chambre des communes, où elle se retrouve parmi les rares députés conservateurs à voter en faveur de la légalisation de l’avortement (qui n’interviendra que 25 ans plus tard en Belgique) ainsi que de la décriminalisation de l’homosexualité (qui intervient cinq ans avant notre pays).


Nommée Ministre de l’Education en 1970, elle réalise, à ce poste, une série de réformes pour lesquelles beaucoup de sociaux-démocrates lui seraient reconnaissants. Elle défend notamment bec et ongles l’Open University, un système d’enseignement à distance lorsque le Chancelier de l’Echiquier (l’équivalent de notre Ministre des Finances) tente de la supprimer pour raisons budgétaires.

Elle instaure la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, s’oppose à l’introduction de nouveaux frais pour l’accès aux bibliothèques, augmente le nombre de crèches et lance un grand programme de rénovation des écoles primaires. Elle soutient également la recherche et beaucoup considèrent que le CERN (Centre Européen pour la Recherche Nucléaire) lui doit en grande partie son existence.

« Le CERN ? Mais n’est-ce pas une institution européenne ? ». Si. Car, à l’époque, Margareth Thatcher soutient aussi l’adhésion de son pays à la CEE.

En 1975, elle devient la première femme à prendre les commandes du Parti conservateur dont elle modernise notamment la communication à l’aide d’une affiche diffusée à grande échelle illustrant le chômage qui frappe alors durement le pays et dont le slogan n’est rien moins que : « Labour isn’t working », que l’on peut à la fois traduire par « Le travaillisme ne fonctionne pas » ou par « Les travailleurs n'ont pas de boulot ».

L’hiver 1978-1979 marque un tournant. Le Royaume-Uni est alors à genoux. A tel point que le pays en arrive à demander l’aide du FMI…Des grèves massives se multiplient, paralysant de nombreux secteurs d’activité, avec des conséquences désastreuses pour l’économie et la population (fermeture d’écoles, de crèches, coupures régulières d’électricité, crise du système de santé, important taux de chômage, etc.)

Thatcher dénonce alors le « pouvoir immense des syndicats », qui empêchent par leur mobilisation le pays de procéder à des réformes profondes, urgentes et nécessaires. Elle propose d’ailleurs au gouvernement travailliste, qui souffre d’importantes tensions internes, de le soutenir en contrepartie de mesures visant à réduire l’influence de ces organisations corporatistes. Mais la majorité refuse…et tombe quelques semaines plus tard, ouvrant la voie au premier mandat de The Iron Lady. On connaît la suite : euroscepticisme (et son célèbre « I want my money back ! »), austérité budgétaire, Guerre des Malouines, privatisations.

Les faits sont incontestables. L’interprétation que l’on en fait nous semble beaucoup moins pertinente.

« Elle a brisé les syndicats ! ». Non. Margareth Thatcher a simplement remis les syndicats à leur place. Celle de groupes d’intérêts certes nécessaires dans un pays démocratique mais qui ne représentent jamais que le seul intérêt de leurs membres et non l’intérêt général. La lutte des syndicats pour protéger leurs (nombreux) privilèges et leur présence à tous les niveaux de pouvoir est naturelle. Elle n’est pas pour autant légitime. Et leur conservatisme idéologique entre souvent en conflit ouvert avec l’intérêt général. Celui que définit et défend le législateur élu du peuple, par le peuple et pour le peuple. A cet égard, la situation de notre pays, devenu l’otage de ces lobbies, présente une série de convergences avec la Grande-Bretagne de la fin des années 70.

« Elle a fermé les charbonnages ! ». Nous aussi. Mais en les fermant plus tôt, Thatcher a procédé à des économies importantes. La fermeture fut-elle moins douloureuse chez nous ? Certainement pas. Des sommes énormes furent encore investies dans des secteurs que la Gauche savait condamnés. De l’argent public qui aurait pu être injecté dans la recherche, l’éducation ou pour booster les petits salaires et les PME. Non. Il a fallu entretenir l’illusion de certains électeurs. Avant de leur annoncer la sinistre nouvelle et d’accuser le terrible complot libéral. Un peu comme récemment à l’occasion des licenciements massifs de Caterpillar ou de la fermeture des sites liégeois d’Arcelor Mittal.

« Elle a fait la guerre des Malouines ! ». J’avoue ne pas comprendre cette critique. Les Falklands (leur nom anglais) sont un archipel contrôlé par les Britanniques depuis deux siècles. La dictature militaire argentine, soucieuse de redorer son blason auprès de la population, voulut jouer la carte nationaliste. Et attaqua cet archipel de l’Atlantique sud. Comment aurait-on voulu qu’elle agisse autrement qu’en reprenant par la force ce qui l’avait été par la force ? Le dossier des Malouines est très complexe : bien malin celui qui, à ce jour, peut dire qui dispose de la légitimité de proclamer sa souveraineté sur cet archipel, sur lequel on retiendra néanmoins qu’aucun Argentin n’a jamais vécu. 

« Elle a laissé mourir des militants de l’IRA qui avaient entamé une grève de la faim ! ». L’IRA, ce sont des attentats sanglants dans ce terrible conflit qui déchira catholiques et protestants en Irlande du Nord. Ce sont des bombes posées en Ulster comme dans le reste du Royaume-Uni (y compris à l’occasion d’une tentative d’assassinat de Margareth Thatcher au cours de laquelle l’épouse d’un ministre britannique perdra l’usage de ses jambes). Ce sont des victimes innocentes, parfois assassinées simplement parce que protestantes en terre catholique. Entamer une grève de la faim, c’est entamer un bras de fer dont on connaît le risque. On ne peut reprocher à Thatcher d’avoir simplement conservé une attitude de fermeté et consistant à ne jamais céder sous la contrainte. Ceux qui évoquent le dossier irlandais gardent-ils par ailleurs à l’esprit qu’elle œuvra également en faveur du rapprochement avec la République d’Irlande ?

« Et le ‘I want my money back ?' ». On peut croire à une Europe fédérale. Elle est d’ailleurs souhaitable, au vu des défis colossaux qui nous attendent. Margareth Thatcher n’y croyait pas. Au début des années 80, les Britanniques souffrent, contraints de procéder à des réformes radicales qui ont pour objectif de sauver le pays de la faillite et de le rendre plus fort. Peut-on alors lui reprocher de conserver chaque livre pour les Britanniques plutôt que pour les régions à la traîne d’Europe ? On peut aisément imaginer que Thatcher se disait que les autres pays européens pouvaient réaliser les mêmes réformes profondes que celles que connaissait alors le Royaume-Uni.

Certes, Thatcher a considérablement réduit le poids du secteur public dans l’économie britannique. Peut-être trop (la qualité de certains services publics assumés par le secteur privé – notamment dans le domaine ferroviaire et de la santé, mais aussi l’éducation – est exécrable). Il n’empêche que, là encore, la caricature mérite d’être dénoncée : tout au long de ses 12 années à la tête du pays, elle a toujours veillé à épargner l’assurance sociale et le service national de santé, les deux piliers de l’embryon de sécurité sociale britannique.

Le bilan de Margaret Thatcher est contrasté. Mais il ne mérite pas la haine qui s’exprime depuis une semaine. Elle a rendu la Grande-Bretagne bien plus grande qu’elle ne l’avait trouvée. Sous Thatcher, les classes moyennes accèdent à la propriété de leur logement, prennent des participations dans les entreprises privées. Après son départ (qui résulte, non d’une défaite électorale, mais d’un putsch interne au Parti conservateur), les avides golden boys de la City se jettent dans les bras de Tony Blair, qui récolte bien des fruits du Thatchérisme mais tourne le dos à sa morale victorienne, qui n’aurait sans doute que peu apprécié le règne de l’argent facile et des traders.

La meilleure marque de confiance des Britanniques à l’égard de la Dame de Fer (surnom créé par les soviétiques) demeure sans aucun doute sa double réélection, ainsi qu'un record de longévité au 10 Downing Street. Jamais Premier Ministre n'était resté aussi longtemps au pouvoir depuis le XVIIIème siècle. Un sondage diffusé au lendemain de sa mort révélait d'ailleurs qu'elle s'avérait rien de moins que la personnalité la plus populaire des Britanniques, devant ce grand homme d'Etat que fut Winston Churchill.

Ce qui demeure interpellant, en tout cas, c’est la facilité avec laquelle fusent les attaques contre Thatcher, là où Chavez, qui a quasiment mis son pays en faillite et allié populisme et clientélisme, n’a cessé d’être encensé dans les jours qui ont suivis son décès. Un deux poids deux mesures qui démonte la thèse défendue par Yves Desmedt dans « De Morgen » et qui voyait en Margareth Thatcher le fossoyeur d’un modèle de société. Manifestement, il est des régions belges où ce modèle de société, fondé sur la toute puissance syndicale, le poids excessif du secteur public et une culture hostile à l’esprit d’entreprise à encore de beaux jours devant lui…

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