J’ai suivi avec avidité la saga entourant la formation de votre gouvernement. Pour une personne de l’extérieur, surtout habituée au scrutin britannique, cela tient presque du surréalisme (sans mauvaise allusion!). Lorsqu’on vit dans un système où le parti gouvernemental est connu quelques heures après la fermeture du dernier bureau de vote, un observateur qui ne connaît pas la politique belge s’étonnera des 535 jours qu’aura pris votre pays afin d’arriver à un accord gouvernemental. Pour les quelques rares fois où la Belgique fait une apparition aux informations internationales au Québec, vous avez eu vos 30 secondes de gloire.
Si on peut toujours s‘interroger jusqu’où l’on doit régresser dans les événements pour trouver la cause de toute cette histoire, on peut postuler que l’élection en 2007 de « monsieur 800.000 voix » soit le début de cette saga. Sa légitimité provenant directement des urnes, Yves Leterme s’est posé comme le représentant le plus populaire au sein de l’électorat flamand. Ce fait lui conférait alors un poids symbolique fort dans les négociations puisqu’il était le détenteur de la « volonté populaire flamande ».
Malgré le fait que le MR se hissait comme premier parti francophone et qu’il était plus proche d’un point de vue économique du CD&V que la N-VA et le PS actuellement, les négociations ont été ardues. En effet, en néophyte à l’époque, j’ai appris à connaître ce que vous appelez les tensions communautaires. C’est dans ces moments où, réellement, une personne extérieure examinant votre système politique en comprend toute la complexité.
Ayant eu la chance d’avoir des amis belges dont la circonscription électorale était Bruxelles, j’ai rapidement appris de façon pratique ce qu’est un scrutin de liste. Le choc est d’autant plus grand que le dédoublement linguistique dans la capitale fait en sorte que les électeurs ont le choix entre les partis flamands et les partis francophones. Cela fait un réel contraste avec nos petits bulletins de vote ne réunissant que les candidats pour chacun des partis dans la circonscription. De plus, l’absence de partis réellement fédéraux belges rajoute au côté invraisemblable de la chose, pour un étranger.
Je ne m’attarderai pas sur les détails puisque vous les connaissez fort probablement mieux que moi pour la période entre 2007 et 2010. Je dois avouer qu’en tant que politologue, cela me plaisait de voir les rouages de la politique belge à l’œuvre. Pourtant, l’avènement de toute cette saga survint lors de l’élection de 2010 qui conduisit à la proéminence de la N-VA en Région flamande.
Bien que la plupart des partis flamands prônent une forme de nationalisme, la montée de la N-VA en tant que premier parti en Région flamande, sans m’étonner totalement, me laissait un peu perplexe. Je dois avouer que le nationalisme flamand ne s’exprime pas comme le nationalisme québécois et j’ai eu le mauvais réflexe de penser que l’option reculerait dans l’opinion publique. En effet, les Québécois, lorsque leurs revendications n’aboutissent pas, ont l’habitude de demander moins afin d’obtenir quelques concessions minimales. Si les Flamands avaient eu le même réflexe, la N-VA n’aurait pas eu ce résultat. À l’inverse, les positions du CD&V sur le communautaire ayant échoué dans leur concrétisation, l’opinion flamande a opté pour un parti plus tranché pour les représenter. Un parti qui est fort probablement plus nationaliste que le Flamand moyen qui lui a accordé sa voix. La réaction fut donc inverse : la population flamande adopta une stratégie de négociation différente : elle réclama davantage que ce qu’elle voulait afin d’obtenir ce qu’elle désirait réellement.
Par contre, le système multipartite a permis de mettre de côté la N-VA dans la formation du gouvernement. Je dois avouer que la patience des autres partis avant d’en arriver à cette solution m’a étonné. Je ne prétends pas être devin mais l’attitude de Bart de Wever était prévisible : se servir des négociations pour démontrer l’incapacité du palier fédéral et donc son inutilité. Il est vrai qu’on ne peut écarter facilement le parti qui a obtenu un résultat aussi élevé. Cependant, la N-VA ne pouvait entrer dans un gouvernement fédéral sans légitimer ce palier de gouvernement.
C’était d’ailleurs à cette question que les militants du Bloc Québécois, le parti nationaliste québécois sur la scène fédérale, devaient répondre à l’hiver 2008-2009. Le gouvernement conservateur, alors minoritaire, proposait certaines mesures qui étaient inacceptables pour les trois partis d’opposition. Un projet d’accord entre eux était alors sur la table, le Parti libéral (PLC, centre) et le Nouveau Parti Démocratique (NPD, centre-gauche) s’allierait pour former un gouvernement et le Bloc Québécois devait soutenir ce dernier s’il n’allait pas à l’encontre du Québec.
Un grand tollé s’éleva dans le Rest of Canada (ROC, le Canada sauf le Québec) contre cette idée. Premièrement, l’idée d’une coalition était inacceptable puisque ne faisant pas partie de la tradition parlementaire canadienne (à une exception près). Deuxièmement, ce qui était le plus grave, le nouveau gouvernement serait « à la merci » des « vilains séparatistes » du Québec. Le problème disparût lorsque le gouvernement prorogea (termina) la session parlementaire prématurément, rendant ainsi caduc l’accord de coalition.
La résultante de cette entente fut que le PLC et le NPD perdirent des appuis dans le ROC. Au Bloc Québécois, les membres ratifièrent avec une large majorité cette idée puisque tout était bon tant que c’était contre le gouvernement conservateur. Par contre, la minorité qui ne l’approuvait pas avança justement l’idée de légitimation du palier fédéral, mais la majorité avait parlé.
Cela souligne aussi une ambiguïté du Bloc Québécois : bien qu’ouvertement indépendantiste, plusieurs fédéralistes québécois se retrouvent dans ce parti puisqu’il relaie les préoccupations de l’Assemblée nationale (parlement du Québec) sur la scène fédérale, ce qui plaît à leur façon d’être nationaliste. Le Bloc Québécois est d’ailleurs accusé par plusieurs indépendantistes de faire fonctionner le fédéralisme canadien en réussissant certaines avancées pour le Québec à Ottawa. Pour la grande majorité des membres du Bloc Québécois, une stratégie comme celle de la N-VA est une stratégie dite « du pire », puisqu’elle n’est aucunement constructive, selon eux. Pour reprendre des concepts de philosophie, on pourrait avancer que la N-VA est conséquentialiste puisque seul le résultat compte, alors que le Bloc Québécois et le mouvement indépendantiste québécois en général adhère à une conception plus déontologique : les moyens utilisés doivent aussi être corrects pour que les résultats soient «éthiquement » valides.
Pour terminer sur l’accord de gouvernement, j’observerai avec grande attention l’attitude de la N-VA au cours des prochains mois puisque les élections de 2012 arrivent à grands pas. Les urnes montreront alors dans une certaine mesure si la N-VA a eu raison d’agir ainsi et si elle a réussi à étendre son rôle de premier parti sur la majorité des échelons gouvernementaux. La démocratie parlera alors, avec toutes les conséquences que cela pourrait amener…
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