mercredi 28 décembre 2011

Vu du Québec: Contes et légendes au pays des Caribous...

L’hiver : un à deux mètres de neige, trente à quarante degrés sous zéro lors des périodes les plus glaciales, les engelures qui accompagnent le tout, le déneigement des automobiles, les chasse-neiges qui déblaient les routes, les pointes de consommation d’électricité dues au chauffage des maisons. À notre époque, l’hiver est malgré tout facile à vivre en ces contrées nordiques si l’on compare aux hivers beaucoup plus rigoureux qu’ont connus les premiers colons.

Il y a de ça une centaine d’années encore, les maisons de pierres étaient le lieu où père, mère, les treize ou quatorze enfants et les grands-parents cohabitaient. Dans un seul lit fait à la main, les cinq fils dormaient ensemble alors que, dans la chambre voisine, ce sont les filles qui partageaient la même couche. En plus de faire des économies, cela permettait aussi aux enfants de se réchauffer alors que les maisons, mal isolées, n’étaient pas dotées de l’électricité. Seul le chauffage au bois, au mieux à l’huile pour les plus aisés, était de mise. Le bois était coupé au fond de la parcelle de terre familiale.

Parfois, en plein hiver, pour réussir à amasser un peu d’argent, le père ou quelques fils partaient dans le nord québécois pour travailler pour les grandes compagnies de scierie où ils coupaient du bois tout l’hiver, se coupant ainsi de leur famille pour les mois les plus rigoureux de l’hiver. Logés et nourris, cela permettait autant aux familles d’accumuler de l’argent par leur dur labeur que d’économiser puisqu’il y avait moins de bouches à nourrir.

En ce Québec catholique, la légende de la chasse-galerie s’inscrit dans ce contexte particulier de ces jeunes hommes vigoureux, partant dans le nord, qui désiraient plus que tout participer aux réjouissances de Noël et du Nouvel An auprès de leur famille et, surtout, des demoiselles du village. La légende veut que le Diable, voyant là une occasion de profiter de la faiblesse de ces jeunes gens, leur proposa un canot volant leur permettant de rejoindre leur famille le temps d’une soirée festive. La seule condition, aucun des occupants ne devait jurer (ou sacrer, selon l’acception québécoise) sous peine que tout le groupe ne se retrouve en enfer. Bien entendu, les jurons étaient monnaie courante, surtout après une soirée bien arrosée. Je vous laisse sur la vidéo d’un conteur québécois (avec un merveilleux accent) qui vous en raconte le dénouement :


Plusieurs légendes où se mêlent parfois religion et paganisme, en ces terres de colonisation dont certaines d’entre elles n’ont pas plus de cent ans. En effet, certaines contrées étaient peu peuplées dans cet immense pays. La forte natalité des familles québécoises avait, en cette fin du XIXe siècle, donné l’espoir au clergé catholique francophone d’une stratégie postconquête britannique où la colonisation du territoire québécois par des francophones assurerait son pouvoir. Dans les rêves les plus fous qui y sont associés, le nord de l’actuel Ontario devait devenir francophone et le Canada deviendrait aussi catholique.

Cette stratégie, appelée « revanche des berceaux », est souvent personnalisée par le curé Labelle. Plusieurs régions administratives du Québec actuel sont nées de ces élans de colonisation du territoire. Une série, d’abord à la radio puis télédiffusée, a été inspirée de cet épisode : Les belles histoires des pays d’En-Haut. Cette série fut la première à recueillir l’approbation populaire et elle connut un vif succès. Son personnage principal, Séraphin Poudrier, un avare de la pire espèce, était tellement bien interprété que « faire son Séraphin » est devenu une expression populaire pour exprimer l’avarice de certaines personnes. Un peu comme dans l’Avare de Molière, le voilà ici qui caresse sa « cassette » :

Dans la même veine, les séries télé inspirées de cette période ont toujours été fort populaires. Cela tend à changer, la nouvelle génération n’a que très peu connu cette époque agraire de l’histoire du Québec. L’identification n’y est plus, ce qui est normal. La société est aujourd’hui fortement urbaine et le monde agricole n’a pas la cote. Par contre, au-delà de cela, on remarque que cette urbanisation s’accompagne d’un déracinement et d’un certain déni face à cette histoire. Tentant de se démarquer de cette image de « colon » que plusieurs de nos « cousins » européens s’amusent encore à nous coller par leur achat de plumes amérindiennes, ce déracinement cause une perte profonde de sens de la jeune génération. Au lieu d’accepter ce passé et d’apprendre des erreurs qui ont été commises, le déni d’une partie de notre histoire fait en sorte que nous avancions souvent à tâtons dans un univers mondialisé mais qui nécessite un ancrage historique afin de réussir à s’y retrouver.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire