mercredi 25 janvier 2012

Vu du Québec : Histoire des lois linguistiques au Canada (Deuxième partie - 1867-1945)

Dans le dernier article, je présentais les premières constitutions « canadiennes » de l’époque de la Nouvelle-France jusqu’à l’Acte d’Union de 1840. Dans un premier temps, la Proclamation Royale créait une nouvelle colonie unilingue anglaise bien que la population était majoritairement francophone. Le pragmatisme des premiers gouverneurs et les changements apportés pour éviter une rébellion qui allait d’ailleurs frapper les Treize colonies ont permis la conservation du fait français en Amérique. La division de la colonie en Haut et Bas-Canada et la défense culturelle prônée par le clergé catholique contre l’envahisseur permirent aussi la conservation de la langue française.

La réunion des différentes colonies de l’Amérique du Nord britannique s’opéra sous certains auspices. Après avoir remporté la Guerre de Sécession (1861-1865), l’armée nordiste ne fut pas démobilisée. Certaines rumeurs d’annexion des colonies du nord arrivèrent alors aux oreilles des autorités « canadiennes ». Le casus belli était présent : l’Angleterre avait fourni des armes aux Sudistes. L'idée de réunir les colonies afin de créer une entité politique plus à même de se défendre contre une éventuelle invasion américaine commença à faire son chemin.

L’Angleterre voyait également d’un bon œil la réunion de ses colonies d’Amérique du Nord pour une autre raison. D’un point de vue commercial, réunir les colonies permettait d’ouvrir le marché intérieur et de créer une entité politique qui serait ainsi capable d’accroître son commerce extérieur. Inutile de mentionner que la théorie libre-échangiste était en vogue à cette époque au Royaume-Uni. De plus, le Traité de Réciprocité, sorte de zone de libre-échange sur certains produits entre les colonies britanniques et les États-Unis, avait été abrogé par ce dernier-ci en 1866 suite à plusieurs imbroglios.

Les débats furent houleux et plusieurs conférences organisées. Deux positions s’affrontaient: la vision d’un gouvernement central fort (prônée par les représentants de l’actuel Ontario) et la vision fédérative (Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse). Il est difficile de bien cerner la position du Québec. Une certaine frange de la députation refusait d’embarquer dans une union politique qui mettait encore plus en minorité les francophones. Une autre frange, celle-ci majoritaire, croyait plutôt que seule l’union avec d’autres anglophones sur un pied d’égalité permettrait la survivance des Canadiens-français puisque, pour eux, une colonie francophone livrée à elle-même se ferait assimiler.

Ce qui rend difficile la mesure de l’opinion publique par le biais de la députation est le vote censitaire de l’époque. La plupart des francophones étant des agriculteurs et n’ayant pas les biens satisfaisant la loi afin d’exercer le droit de vote, on ne peut s’avancer sans nuance sur l’opinion canadienne-française. Le vote censitaire explique aussi la sur-représentation des anglophones au sein de la députation de l’époque. Elle explique en outre pourquoi les délégués aux diverses conférences étaient à part égale entre francophones et anglophones malgré le poids encore prépondérant des francophones au Québec.

Après maintes discussions, la forme fédérative l’emporta. Plusieurs dispositions offraient néanmoins au gouvernement central plusieurs prérogatives d’importance, celles-ci n’étant pas l’objet de mon propos. C’est d’ailleurs ces dispositions qui ont permis le consensus avec les tenants de l’approche unitaire.

Ainsi, le Dominion du Canada fut fondé en 1867. Sa constitution possède une disposition juridique intéressante sur l’usage des langues anglaise et française :


IX. Dispositions Diverses
133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l'autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l'une ou de l'autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues. [Note : Voir l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba (n° 8 infra) et les articles 17 à 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 (n° 44 infra).]
Faut-il y voir la création d’un pays bilingue? En fait, il est prévu que la plupart des services dont le citoyen moyen a besoin (l’éducation ou encore les services de santé) sont octroyés par les provinces. L’état fédéral, éloigné du citoyen, semble alors offrir un certain bilinguisme institutionnel, du moins pour les assemblées parlementaires. Il est à noter que ce bilinguisme est aussi en vigueur dans la législature provinciale québécoise.
Cependant, dans les faits, on remarque facilement que l’application du bilinguisme au niveau fédéral n’est appliqué qu'au sein des deux chambres du Parlement. Les compagnies reliées au chemin de fer, de compétence fédéral, offrent pour leur part différents services aux usagers et aux compagnies du Québec...en anglais. La première loi linguistique du Québec, votée en 1910, force ces compagnies à donner un service en français (les différents domaines cités étant soit assurés par le gouvernement fédéral, soit fournis par un secteur privé dominé par les anglophones):
1682c. Doivent être imprimés en français et en anglais les billets des voyageurs, les bulletins d'enregistrement des bagages, les imprimés pour lettres de voiture, connaissements, dépêches télégraphiques, feuilles, et formules des contrats, faits, fournis ou délivrés par une compagnie de chemin de fer, de navigation, de télégraphe, de téléphone, de transport et de messageries ou d'énergie électrique, ainsi que les avis ou règlements affichés dans ses gares, voitures, bateaux, bureaux, usines ou ateliers.

«1682
d. Toute contravention par une compagnie de chemin de fer, de navigation, de télégraphe, de téléphone, de transport, de messageries ou d'énergie électrique, faisant affaires en cette province, à une des dispositions de l'article précédent sera punie d'une amende n'excédant pas vingt piastres, sans préjudice du recours pour dommages. »
En 1938, sous le gouvernement québécois de Maurice Duplessis, une autre loi fut introduite afin d’accorder la priorité au texte français dans l’interprétation des lois et règlements du Québec. La communauté anglophone se souleva rapidement contre cette loi qui fut rapidement abrogée.
Je me dois aussi d’aborder rapidement deux événements qui ont marqué cette période. Bien entendu, la question linguistique n’est jamais très loin de la question nationale. Ces événements marqueront l’imaginaire de la période présentée la semaine prochaine.
En tant que dominion, le Canada n’était pas habilité à œuvrer sur la scène internationale. Ainsi, lors de la Première Guerre mondiale, il se retrouva en guerre sans l’avis de son gouvernement. Les sentiments envers la Couronne britannique était mitigés. Le Canada anglais, dont la loyauté allait d’abord à la Couronne britannique, était favorable à une participation enthousiaste à la défense de l’Empire. Le Canada français, sans attachement réel avec la Couronne d’Angleterre, y était opposé. Ainsi, la conscription déclarée en 1917 sous le règne du parti conservateur fédéral signa sa quasi disparition du Québec jusqu’en 1984. Le parti conservateur québécois disparaîtra à son tour en 1936 (et n'est réapparu qu'au début de cette année 2012). Fait amusant, le taux de volontaire ne fut pas réellement plus élevé chez les anglophones que chez les francophones.
À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, l’ombre de la conscription planait à nouveau, ce qui permit au Parti libéral du Canada de promettre qu’en cas de guerre en Europe, le Canada ne serait pas impliqué. Une promesse explicite en ce sens fut d'ailleurs faite aux Québécois par son chef, William Lyon Mackenzie, lors de la campagne électorale de 1940. Mais, deux ans plus tard, voyant que la Grande-Bretagne peinait à remporter cette guerre, King, élu en 1940, demanda à l’ensemble de la population canadienne, via un plébiscite, s’il pouvait imposer la conscription. Le « Oui » l’emporta (mais pas au Québec). Cette forme détournée de recherche de l’approbation populaire fut très mal accueillie chez les Canadiens-français.
Ce dernier geste fut d’ailleurs un des précurseurs de l’affirmation du nationalisme québécois. Après deux siècles de nationalisme défensif, voire de repli, de nationalisme culturel, le bouillonnement des intellectuels québécois allait commencer à réclamer de plus en plus d’autonomie pour la province québécoise. Certains allaient même commencer à militer en faveur de la sécession du Québec...

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