mercredi 23 novembre 2011

La fédéralisation de l’Union européenne ? Vu du Québec, un air de déjà vu



Depuis deux semaines, les médias nord-américains nous rapportent le message de la chancelière allemande : une plus grande fédéralisation de l’Union européenne est nécessaire. Dans un article du Figaro, on retrouve les dires de son ministre de l’Environnement qui plaide même que cela n’affectera pas la souveraineté nationale car la mondialisation a déjà englobé certains pans de ladite souveraineté. La construction de l’Union européenne soulève pourtant deux questions importantes, surtout dans ce contexte de crise de l’union monétaire.
La première problématique est strictement économique : plus on centralise un grand ensemble et plus il est difficile de prendre en compte les différences régionales. Cette maxime, qui ressemble fortement à une vérité de la Palisse, semble pourtant très peu entendu de la part de plusieurs dirigeants de par le monde. La mondialisation semble l’inévitable voie vers laquelle nous nous dirigeons. Un tel fatalisme est pourtant paradoxal au regard de la doctrine économique qui sous-tend cette globalisation accrue.
La création du Canada il y a plus de 130 ans pose certaines similarités dans les débats, bien que les époques aient changé plusieurs variables reliées à l’élaboration des états. Marché commun, abolition des frontières, monnaie unique, tout cela était des premiers débats entre les colonies du Royaume-Uni. Les représentants des quatre colonies du Haut et Bas-Canada (Ontario et Québec actuel), du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse négocièrent l’entente qui allait mener à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867. D’ailleurs, le principal représentant du Haut-Canada, John A. Macdonald, futur premier premier-ministre du Canada, plaidait pour un État unitaire, ce qui fut refusé par les autres délégués présents.
L’édification canadienne commença alors par l’élaboration d’un chemin de fer jusqu’en Colombie britannique, sur la côte ouest du continent, condition essentielle de son adhésion au sein de la Confédération en 1871. La construction de ce chemin de fer avait d’ailleurs forcé l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard en tant que province canadienne afin d’amortir davantage les dettes qui en résultaient.
Chaque province développant ses propres ressources, la diversification de l’économie canadienne alla bon train. L’industrie minière se forma dans le bouclier canadien (Ontario et Québec), l’hydroélectricité débuta dans les années 70 (Québec), l’industrie du blé devint un acteur important dans les provinces de l’Ouest (Saskatchewan, Manitoba, Alberta), la production laitière se développa principalement au Québec, l’industrie maritime en Colombie-Britannique, au Québec et dans les provinces maritimes (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard, Terre-neuve). Dernièrement, les hydrocarbures deviennent aussi une ressource importante avec la rentabilité des sables bitumineux (Alberta, Saskatchewan) et les puits de pétrole côtiers (frontière entre Terre-Neuve et Québec).
Ce portrait global et non exhaustif illustre les disparités régionales concernant le développement économique du Canada, ce qui engendre souvent des frictions. Lors de la crise économique de la décennie 80, Ottawa devait déterminer ce qu’il adviendrait du taux directeur. En adoptant l’attitude étatsunienne d’élever le taux d’intérêt, il favorisait l’industrie céréalière de l’Ouest au détriment de l’industrie laitière québécoise. En effet, l’industrie céréalière, dominée par les grandes entreprises, se révélait être moins touchée par cette hausse alors que l’industrie laitière, principalement de petites exploitations familiales, se trouvait alors en difficulté.
Concernant le développement économique, les choix difficiles du gouvernement central sont aussi nombreux. Dernièrement, le gouvernement fédéral devait octroyer un contrat de plusieurs milliards de dollars pour la construction de navires militaires. Vancouver (Colombie-Britannique), Halifax (Nouvelle-Écosse) et Lévis (Québec) était en compétition. Ottawa décida de scinder le contrat entre Vancouver et Halifax, ce qui a fait dite aux économistes que le passé syndicaliste de Lévis avait joué en sa défaveur. Cependant, contrairement aux deux autres villes, le chantier naval de Lévis est à l’abandon, ce qui aurait été une belle occasion de relance économique.
De plus le gouvernement fédéral canadien est présentement en confrontation avec les provinces sur la régulation des marchés financiers. Chaque province ayant actuellement ses propres règles à ce sujet (bien qu’elles soient fortement semblables), Ottawa a décidé de centraliser le tout à Toronto, centre nerveux de la finance canadienne. L’argument du gouvernement fédéral est d’harmoniser les règles sur l’ensemble du territoire canadien afin d’avoir un meilleur contrôle sur l’économie. À l’inverse, les provinces protestent que l’économie canadienne s’en porterait plus mal puisque la décentralisation permet d’être plus « collé » sur la réalité du terrain.
Ceci n’est que quelques exemples des tensions que le Canada vit parmi d’autres. Ainsi, pour en revenir à l’Union européenne, si le désir de Berlin peut s’avouer louable d’un point de vue de la sauvegarde de la zone euro, la sauvegarde de la zone économique demande un effort d’autant plus grand, ce qui nous conduit au second problème : l’absence d’identité commune.
Tout comme au Canada, l’Europe est divisée en de multiples identités nationales, régionales, communales. Comment justifier une décision prise par un gouvernement central européen alors qu’elle se fera nécessairement au détriment d’une autre région/pays si aucune solidarité n’existe entre les différentes parties de l’Union ? L’intérêt supérieur européen est pour l’instant une chimère des dirigeants. N’importe quel individu qui serait dans la même situation que les Grecs en ce moment réagirait de la même façon qu’eux. Encore plus désolant, c’est le président français et la chancelière allemande qui semblent prendre les rênes de la relance européenne. Où sont donc les 25 autres? Comment veut-on faire comprendre aux populations espagnoles, grecques, portugaises, italiennes, que l’Union se décide entre les dirigeants français et allemands ? À quoi cela sert-il alors d’élire des parlements nationaux et européen? Où est la démocratie?
La construction européenne est peut-être souhaitable, peut-être pas. Je crois seulement qu’elle s’est, jusqu’ici, construite d’une mauvaise façon. L’économie n’a jamais créé l’identité nécessaire à la solidarité. Le fameux modèle du state-building commençant par le Zollverein avait déjà pour postulat l’identité allemande, ce que l’Union européenne ne possède toujours pas.
Eric Berthiaume

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