mercredi 2 novembre 2011

Vu du Québec : Langue et politique au pays des caribous


Mercredi dernier, le chef de la N-VA dénonçait le fait qu’Elio Di Rupo ne possédait pas suffisamment le néerlandais pour un « premier-ministrable ». Cela n’est pas sans me rappeler plusieurs débats québécois et canadiens sur le bilinguisme de nos élus. En effet, que ce soit Montréal avec sa forte minorité anglophone, Québec ou Ottawa (la capitale canadienne), la capacité des personnes se présentant aux élections fait la manchette de nos journaux respectifs avec toute la question de la légitimité qui se profile en arrière-plan.


Cependant, la Belgique fait figure à part dans ce scénario. Puisqu’aucun de vos partis fédéraux ne se présentent sur tout le territoire, les élus n’ont à rendre de compte en premier lieu qu’à leur électorat linguistiquement identifié. Ainsi, en reprenant l’exemple du chef du Parti Socialiste, qui ne présente qu’une liste francophone, son premier devoir est de maîtriser la langue de ses commettants. Par la suite, pour augmenter la légitimité de l’autre côté de la frontière linguistique, tout élu peut se donner la peine d’apprendre la langue de l’« Autre ». L’obligation reste somme toute moral plutôt que relevant de la loi. Je m’attarderai donc sur les débats qui ont eu lieu ces dernières années concernant le bilinguisme des chefs québécois et canadiens.

Comme je le mentionnais dans mon texte précédent, aucune institution montréalaise ne dispose du mandat d’assurer la représentation anglophone de l’Île. Néanmoins, traditionnellement, les principaux partis présentent des chefs qui sont bilingues. À la dernière élection municipale, en 2009, une exception fut soulevée par les journaux. C’était le cas de la cheffe de l’Opposition officielle à Montréal, Louise Harel. Ancienne ministre du Parti Québécois, elle avait été l’instigatrice des fusions municipales et parlait un anglais fort hésitant. Comment pouvait-elle dès lors prétendre représenter une ville dont 20 % de la population parle l’anglais à la maison? Plusieurs analystes mentionnèrent que les anglophones ne voteraient pas pour elle et ce, pour deux raisons. La première était qu’en tant qu’ancienne ministre péquiste, et donc indépendantiste, elle ne recueillerait pas leur vote. En second lieu, en tant que principale instigatrice des fusions municipales qui avaient soulevé l’ire de ces mêmes populations, celles-ci ne lui accorderaient pas leurs voix. La question disparut de la une des journaux…

Le même questionnement fut soulevé lors de l’accession de Pauline Marois à la tête du Parti Québécois en 2007. Parlant un anglais que l’on qualifie de « laborieux », Mme Marois peut-elle représenter l’ensemble du Québec si elle ne peut parler la langue d’environ 7 % de la population? Le premier argument mentionné ci-dessus a aussi été central dans le débat médiatique : la population anglophone ne votera probablement pas pour un parti prônant l’indépendance du Québec. Certains indépendantistes ont pourtant soulevé cet aspect : comment peut-on convaincre les anglophones du bien-fondé de l’option indépendantiste si elle ne peut aller à leur rencontre? Le débat s’est aussi volatilisé de la scène médiatique et Mme Marois est, à ce jour, toujours cheffe du Parti Québécois.

À Ottawa, le bilinguisme des chefs est souvent un casse-tête. Historiquement, les partis qui présentaient un chef francophone bilingue étaient vainqueurs des élections. Que ce soit Wilfrid Laurier (1896-1911), Louis Stephen St-Laurent (1948-1957), Pierre Elliot Trudeau (1968-1979, 1980-1984), Brian Mulroney (1984-1993), Jean Chrétien (1993-2003) ou Paul Martin (2003-2006), ces chefs d’origine québécoise séduisaient l’électorat québécois qui se sentait représenté dans les plus hautes sphères du pouvoir fédéral. De plus, jusqu’à l’élection de mai 2011, la croyance qu’un gouvernement majoritaire nécessitait les sièges du Québec était tenace. Il fallait donc trouver un moyen pour les partis d’obtenir les votes du Québec. Cela ne plaisait souvent pas au reste du Canada anglophone qui trouvait qu’on accordait trop d’importance à une minorité linguistique, même si celle-ci constitue le tiers de la population! Aujourd’hui, le Québec représentent environ 23 % de la population canadienne. Les francophones hors-Québec ne constituent que des minorités peu ou pas représentées qui se battent toujours pour leur reconnaissance, mais cela n’est pas l’objet de mon article…

Depuis 2006, Stephen Harper, Premier ministre conservateur d’origine albertaine, a amélioré son français. Du temps où on ne comprenait que peu ce qu’il disait, il affiche aujourd’hui un français correct et qui inaugure d’ailleurs tous ses discours, ce qui décourage souvent ses hôtes parlant anglais et sa base électorale qui ne comprend pas cette place faite au français.

Parmi les trois chefs du Parti Libéral du Canada (centre) qui se sont succédé depuis 2006 (une histoire qui n’est pas l’objet de mon propos actuel mais qui concerne la corruption), tous étaient bilingues et un provenait du Québec.

Concernant le Nouveau Parti Démocratique (social-démocrate), le dernier chef, décédé cet été, provenait du Québec anglophone mais il parlait un français correct. Son attitude de « bon Jack » comme nous disons au Québec, c’est-à-dire un bon gars, celui qu’on inviterait à prendre un verre, lui a conféré une popularité qui dépassait les barrières linguistiques. Son successeur devra par ailleurs concilier une base militante hors-Québec et une députation à majorité québécoise. Je vous passe les analyses de l’élection fédérale de mai 2011.

Le bilinguisme des chefs municipaux (lorsque la situation l’exige), des chefs provinciaux et des chefs fédéraux relève donc souvent de la stratégie politique plutôt que des institutions. La tradition de chacun des partis y est aussi pour beaucoup. Par exemple, très peu de chefs du Parti Conservateur du Canada (PCC) proviennent du Québec, contrairement au Parti Libéral (PLC). Il est vrai que la base électorale de ces grands partis ne se situe pas au même endroit. Le PCC est surtout un parti de l’Ouest canadien alors que le PLC a habituellement ses bases en Ontario et au Québec, même si la dernière élection l’a plutôt démenti.

Eric Berthiaume

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