mercredi 2 novembre 2011

Primary Colors

Les primaires socialistes françaises ont donc enfin connu leur « clap » de fin. Certains pousseront un soupir de soulagement : primaires le matin, primaires le soir, débats du premier tour, face à face du second tour, débats sur l’opportunité des primaires, analyses des primaires, présentation des candidats aux primaires et même chute du favori aux primaires dans la chambre d’un hôtel newyorkais : depuis des mois et des mois, la « primairophilie » qui a envahi l’hexagone avait de quoi en rendre beaucoup…« primairophobes »…


Et pourtant, il semble que l’on puisse, sans être ni socialiste, ni de Gauche, reconnaître une certaine vertu à cet exercice. Il nous aura, par exemple, permis de découvrir un mécanisme assez peu pratiqué en Europe, alors qu’il fait depuis longtemps partie intégrante de la culture politique américaine, dans laquelle les partis politiques jouent, in fine, un rôle bien moins important que dans notre pays, transformé au fil du temps en véritable « particratie ».

L’observateur avisé fera sans doute remarquer, non sans raison, que l’élection présidentielle française au suffrage universel direct la rapproche un peu plus du système présidentiel U.S. (même si le président est formellement élu outre-Atlantique par des « grands électeurs »). Ne pourrait-on cependant envisager l’importation d’un tel processus dans la désignation des présidents de parti ?

Certes, les partis démocratiques belges, francophones comme néerlandophones, ont connu, ces dernières années, une évolution positive en la matière. Fini, pour la plupart des partis,  le temps où le président était désigné par des instances particratiques particulièrement opaques avant que le choix ne soit soumis au vote des militants dont l’issue ne faisait aucun doute, l’unique candidat (en tout cas, l’unique candidat « crédible ») réalisant un score stalinien flirtant généralement avec les 90% (en soustrayant parfois les votes blancs et nuls afin d'éviter le score logique de 100% pour l'unique candidat). Aujourd’hui, le vote par correspondance (CDH, MR) a généralement remplacé le vote dans des sections locales parfois dépourvues d’isoloirs et certains partis (tels que le CD&V ou l’Open VLD) ont même mis en place un vote par Internet, ce qui permet de palier aux éventuelles « surprises » de dernière minute (telle qu’une grève sauvage ou les retards de la poste…).

Alors, a-t-on encore réellement besoin de s’intéresser aux primaires à partir du moment où la plupart de nos partis ont accepté le principe d’élections libres et transparentes permettant généralement aux différentes tendances de s’exprimer ? Pas forcément.

La primaire socialiste française a notamment tranché par son ouverture à l’ensemble des « sympathisants » de Gauche, permettant aux citoyens qui le désiraient de participer au scrutin en s’acquittant d’une somme symbolique tout en signant une charte relative aux valeurs de la Gauche. Engagement, on l’aura compris, plus symbolique qu’autre chose.

La question de l’opportunité d’une telle mesure en Belgique mérite d’être posée. D'autant plus en ces temps où la méfiance du citoyen envers ses institutions publiques grandit. Méfiance qui se traduit notamment par un désintérêt croissant pour la « chose publique », ainsi que le développement au sein d’une frange de la population d’un discours dénué de toute nuance et susceptible d’aboutir, si nous n’y prenons pas garde, au retour des extrêmes sur l’avant-scène de notre vie politique.

Or, l’organisation de primaires ouvertes présente plusieurs avantages. D'abord, celui de permettre à un parti de disposer du temps nécessaire pour développer sa stratégie de "marketing idéologique", en présentant les différents aspects de son programme, ses différentes sensibilités ainsi que leur dénominateur commun. Il constitue en outre l'occasion pour ce même parti d'enfin répondre, point par point, aux critiques et caricatures dont il est parfois victime. L'occasion d'une véritable présentation claire de sa structure interne, de ses valeurs et de ses priorités. Bref, une sorte de répétition générale avant les campagnes électorales ou l'électeur a généralement du mal à s'y retrouver, noyé dans des discours et accusations contradictoires. Enfin, elle donne également au parti l'occasion de se démarquer par rapport aux autres formations démocratiques.

La principale critique de ce mécanisme consiste à souligner la possibilité pour des membres d'autres partis de s'inscrire uniquement dans le but d'influencer le résultat final de la primaire ouverte. Certes, ce risque existe théoriquement. Mais il me semble qu'il existe tout autant dans l'état actuel des choses. Qui nous dit que, derrière certains membres de tel parti, ne se cachent pas en réalité des membres de partis concurrents, payant annuellement leur cotisation sans participer aux activités de ce parti et attendant patiemment la prochaine élection présidentielle ? L'idée, appliquée par le PS français, de faire payer une somme symbolique aux électeurs participant à la primaire devrait suffire à s'assurer de l'adhésion apparente de ceux-ci aux valeurs du parti concerné. A moins d'être prêt à débourser de l'argent pour un autre parti...

L'autre critique consiste à soutenir que la primaire est l'occasion de divisions internes étalées au grand jour, généralement entre l'aile droite et l'aile gauche du parti. Elle donnerait en outre  l'occasion aux candidats francs-tireurs de se présenter aux électeurs avec un programme assez peu crédible et de brouilller les cartes, l'électeur lambda faisant alors une sorte de forum shopping en fonction des idées qui l'intéressent le plus et de l'air du temps, au risque de parfois donner sa voix à des candidats au discours plus radical, quitte à décrédibiliser le parti.

Encore une fois, il me semble que la critique, bien qu'argumentée, n'est pas très pertinente. En effet, la situation décrite est tout simplement celle de n'importe quelle élection démocratique : aux candidats plus raisonnables, rassembleurs et/ou responsables d'aller à la rencontre de leurs électeurs, d'argumenter et de convaincre ces derniers. Leur incapacité à ramener à eux un certain nombre de voix au sein de leur propre camp ne serait-elle pas l'indice de futurs revers électoraux ? La présence et l'éventuel succès des candidats plus "franc-tireurs" peut par ailleurs être perçue comme l'occasion pour les candidats plus "crédibles" d'éviter de se couper de leur base tout en prenant le pouls de la sensibilité de celle-ci par rapport à certaines problématiques (mondialisation, insécurité, etc.).

Quant aux différentes lignes de fracture traversant un parti politique, il ne s'agit que d'un secret de polichinelle. De nos jours, le citoyen s'intéressant un tant soi peu à la chose publique comprend assez rapidement  qu'il a toujours existé et qu'il existera toujours des clivages (parfois très importants) au sein d'un même mouvement. Seuls certains fondamentaux demeurent le plus petit commun dénominateur entre les membres. Un peu comme dans une famille en somme...


Ce qui est sûr, c'est que ce type de manifestation politique que constituent les primaires permet de rapprocher, ne serait-ce que le temps de la campagne interne, le citoyen du politique. Et, le moins que l'on puisse dire, c'est que notre société a, plus que jamais, besoin de re-dynamiser (voire, redessiner) son modèle démocratique, en ces temps de crise économique, politique mais aussi identitaire.

Samy Sidis

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