mercredi 9 novembre 2011

Vu du Québec : Charlie Hebdo et le multiculturalisme

L’actualité française a traversé nos deux frontières cette semaine. L’incendie du Charlie Hebdo a fait les manchettes des deux côtés de l’Atlantique. Bien entendu, l’intensité de la couverture médiatique n’a probablement pas été la même puisque vous êtes plus près géographiquement de l’événement. Néanmoins, plusieurs commentateurs nord-américains ont discuté de cet épisode. Il est vrai que les sensibilités sont souvent à fleur de peau depuis le 11 septembre 2001.


L’incendie n’est pas le premier et, malheureusement, il ne sera pas le dernier de ce type dans nos sociétés. Représentant une certaine qualité de vie réelle ou imaginaire au sein du « rêve américain » exporté à tous les pays occidentaux, nos pays symbolisent souvent dans l’imaginaire mondiale l’apothéose de la recherche du confort matériel et un supposé idéal à atteindre. L’ouverture des frontières offrirait ainsi la possibilité à l’ensemble de la population de la planète de jouir de cette qualité de vie.

Du point de vue de l’individu, cette recherche matérielle est normale puisqu’il souhaite accéder à la meilleure qualité de vie possible pour lui et sa famille. Cependant, chaque individu amène son lot de bagage historique et culturel ainsi que ses croyances particulières en une vie meilleure avec lui. Croire que l’individu n’est qu’une force de travail qui aidera à la prospérité du pays est absurde.

Pour remédier à ce type de problème, les sociétés occidentales ont adopté des politiques multiculturelles voire un multiculturalisme intégral. Au Canada, la Loi sur le multiculturalisme canadien est par contre historiquement issue d’autres causes mais les conséquences en sont aujourd’hui les mêmes qu’en Europe : la cohabitation de différents groupes culturels sur le territoire du pays. Le choix du mot « cohabitation » est utilisé à bon escient : les communautés culturelles se parlent peu, agissent souvent de façon indépendante et se retrouvent parfois en confrontation entre elles ou avec la communauté nationale dominante. Le multiculturalisme reconnaît l’égalité des cultures par le prisme individuel : chaque individu peut adopter la culture qui lui plaît, et aucune culture n’est supérieure à l’autre. Le grand problème dans cette affirmation est que, toute libérale, au sens philosophique du terme, que puisse être la constitution, elle est néanmoins toujours porteuse de ces valeurs libérales.

L’exemple du Canada est ici le paroxysme de cet état de fait. Lors du rapatriement de la constitution canadienne en 1982 (auparavant, elle était une simple loi britannique et tout changement devait être demandé au parlement du Royaume-Uni), le premier ministre de l’époque, Pierre Elliot Trudeau, a enchâssé la Charte des droits et libertés au-dessus de la constitution. Il consacrait ainsi les valeurs libérales comme fondatrices de l’état canadien. Ces valeurs influencent les cours de justice, les institutions étatiques et les rapport des citoyens à l’État.

Il faut néanmoins faire remarquer que ces valeurs ne sont pas toujours partagées par toutes les cultures et qu’elles ne sont parfois pas partagée au sein des communautés constituant l’État elles-mêmes. Au Québec, dont les autorités n’ont toujours pas ratifié la constitution depuis son rapatriement, le modèle multiculturel est décrié pour trois principales raisons :

1)      il a pour effet de noyer la nation québécoise dans la mosaïque culturelle canadienne. Le mythe des deux peuples fondateurs du Canada s’estompe devant la consécration du fait que le Canada est terre d’immigration et que toutes les communautés ont apporté quelque chose à son élaboration. Les Ukrainiens, les Chinois, les Irlandais, les Écossais, les Britanniques, les Français, tous sont équivalents dans la construction de l’état canadien. Pourtant, la Commission Laurendeau-Dunton (1963-1969) avait reconnu le caractère bilingue et biculturel du Canada;
2)      il a pour effet de réduire la portée de la prépondérance du français comme langue officielle du Québec. La Cour Suprême du Canada a en effet invalidé plusieurs articles prônant la défense de la langue française sur le territoire québécois. La langue étant porteuse d’identité, le corollaire est que le multiculturalisme affaiblit l’identité québécoise;
3)      en établissant l’égalité de toutes les communautés culturelles, même au sein de la province du Québec, l’intégration des nouveaux arrivants doit s’accorder dans cette optique alors que le gouvernement québécois prône un autre modèle, celui de l’interculturalisme (certains penseurs plus à droite assimilent l’interculturalisme au multiculturalisme car il reconnaît aussi la pluralité des communautés culturelles mais, selon ses défendeurs, il prône aussi la prépondérance de la communauté nationale).

Sur ce dernier point, plusieurs remarques ont d’ailleurs été faites. Au Québec, plus spécifiquement, la communauté juive orthodoxe (la 5e plus importante dans le monde, principalement à Montréal) a utilisé la charte des droits individuels pour promouvoir ses intérêts. Puisque la charte ne hiérarchise pas les droits qui y sont inscrits, la Cour Suprême du Canada a donné une grande marge de manœuvre à la liberté de religion sur plusieurs autres droits. Dernièrement, les communautés musulmanes plus radicales ont aussi utilisé la charte à cette fin.

Pour plusieurs Québécois, indépendantistes ou non, le problème est double avec la doctrine multiculturelle. D’une part, ils ne se sentent pas pleinement reconnu au sein de l’appareil fédéral. D’autre part, ils se sentent menacés par les nouveaux arrivants dont ils ont la perception que leur communauté est mieux protégée juridiquement que la nation québécoise. C’est d’ailleurs un casse-tête pour l’administration québécoise gérant l’immigration (une entente bilatérale entre le Canada et le Québec datant de 1978 permet au Québec de choisir la provenance des immigrants alors que le Canada fixe le nombre d’immigrants que le Québec doit accueillir). Doit-on choisir des anglophones d’origine mais qui sont culturellement plus proches des valeurs canadiennes et québécoises ou choisir entre des personnes de langue française mais ayant une culture plus éloignée? La question est encore ouverte, bien que la seconde option soit appliquée depuis plusieurs années. Avec les événements du 11 septembre 2001, le choix s’est avéré encore plus déchirant.

Malgré tout, il ne faut pas généraliser. Au-delà des communautés, il y a surtout des individus et il ne faut pas confondre la majorité silencieuse avec la minorité qui s’exprime trop fort ou trop violemment. La capacité de dialogue de chaque communauté est présente, à différents niveaux, mais chaque pays doit réfléchir s’il devient simplement un agglomérat de communautés ou s’il veut protéger la culture qui lui est propre. Cette dernière affirmation ne renie pas l’acceptation de l’ « Autre ». D’ailleurs, le multiculturalisme met plutôt l’accent sur l’indifférence des communautés entre elles puisque l’individu est au centre de sa pensée. Pour qu’il y ait une réelle acceptation de l’ « Autre », une reconnaissance doit être faite. La communauté nationale doit accepter que tous puissent contribuer à son bon développement et les autres communautés sur le territoire étatique doivent avoir la volonté d’y participer. La population doit faire cet effort démocratique et ne pas la laisser aux politiciens puisque c’est elle qui vivra avec les décisions ressortant de ce processus.

Pour en revenir à Charlie Hebdo, il est intéressant de constater tout l’écart qu’il y a parfois entre la loi et l’esprit de la loi, entre le premier degré et la satire. Le droit de critique est important pour les médias et le lui retirer serait une terrible erreur. Cependant, bien que traiter de religion, peu importe laquelle, s’avère un sujet difficile, il ne faut pas le voir comme une guerre de l’identité occidentale contre l’identité arabo-musulmane mais bien comme une crise des identités nationales dans un contexte multiculturel et mondialisé.

Pour terminer, je me permettrais de rappeler cette petite citation d’une série télévisée québécoise (Pure Laine).  Évitant les généralisations abusives, elle traitait des relations entre les communautés culturelles québécoises ainsi que des perceptions de mes compatriotes face à celles-ci : « (…) chaque race contient un pourcentage de trou du cul, et chaque trou du cul mérite d’être détesté individuellement pour ce qui fait de lui un être unique. » 

Eric Berthiaume

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