Je mets derrière moi une fin de semaine fort chargée autant en émotions qu’en activités diverses. Elles se regroupaient toutes sous un seul thème : l’identité québécoise. Vaste sujet où vous me qualifierez de nationaliste encore une fois. J’aimerais néanmoins vous exposer la complexité d’une identité qui se cherche toujours.
Tout commença jeudi soir dernier lors d’un souper avec d’anciens collègues de travail. Pour votre information, j’étais l’adjoint de l’ancien député de ma circonscription, un membre du Bloc Québécois, un parti fédéral qui défend les intérêts du Québec à Ottawa. Entre nationalistes, les débats sont toujours amusants : les idées sur l’accession à la souveraineté, comment se défendre du gouvernement libéral (et donc fédéraliste) en place sur la scène provinciale, l’anglicisation, etc. On gravite tous dans le même milieu, on se serre les coudes et on travaille fort. Le temps d’un repas arrosé, comme tous les gens férus de politique font, peu importe les allégeances, nous refaisons le monde. On ne s’interroge par réellement sur qui nous sommes puisque nous nous reconnaissons autour d’un projet commun : l’indépendance du Québec. De droite ou de gauche, le but ultime reste le même.
Cette fin de semaine, j’assistai au Sommet "Génération d’Idées", qui ressemble un peu au "G1000", mais s’adresse essentiellement aux jeunes de 20 à 35 ans. D’ailleurs, cette restriction fut dénoncée par certains : l’idée n’est pas de créer un conflit intergénérationnel mais bien l'occasion de dialoguer. Le Sommet "Génération d’Idées" est d’ailleurs une initiative bénévole qui a pour but de donner la parole à ces jeunes qui ont le goût de s’approprier leur société mais qui se retrouvent souvent confrontés à la force d’inertie de cette dernière.
J’assistais à deux ateliers le samedi soit, le matin, celui sur les institutions démocratiques et, l’après-midi, celui sur l’identité québécoise. Deux sujets qui se recoupent largement même si le premier est sûrement plus concret. En matinée donc, je remarquais un large consensus sur la réforme du mode de scrutin. J’avais déjà largement constaté ce désir de la population de contrer le vote utile/stratégique pour que chaque vote compte. D’ailleurs, à travers tout le Canada, la nouvelle génération s’insurge contre le système électoral britannique uninominal à un tour.
Encore une fois, un objectif commun qui rallie une vaste majorité pour un projet de société. Certes, certains préfèrent une proportionnelle pure, d’autres un système mixte à l’allemande. Sur les détails, chacun y va de ses choix, mais la situation devra changer...pour peu que l’on respecte la volonté populaire…
L’atelier sur l’identité québécoise fut particulièrement intéressant. Et traduit une réalité : plusieurs visions de celle-ci se confrontent mais une chose ressort : nul ne sait réellement la définir de façon consensuelle. Paradoxalement, la réponse à la question : « Qu’est-ce qui nous rassemble ? »...ne rassemble personne. Une grande partie des gens affirment que la langue est importante, bien que plusieurs mentionnent qu’il existe des Anglo-Québécois. En effet, ces derniers se reconnaissent davantage au Québec, pour ses valeurs sociales-démocrates, que dans le reste du Canada. Certains me rétorquent alors que la Colombie-Britannique se rapprochent de ces valeurs, mais sa façon d’aborder les problèmes est anglo-saxonne alors que nous le faisons davantage à l’ « européenne » , comme nous le nommions. Est-ce alors le projet de société qui nous rapprocherait ? Le terme est malheureusement trop vaste pour obtenir un réel consensus. La souveraineté ou le fédéralisme, la sociale-démocratie ou le néo-libéralisme, la laïcité ou les valeurs judéo-chrétiennes, etc.? Les participants ne réussissaient pas à trouver un réel consensus, ce qui démontre une ambiguïté assez amusante pour ce qu’on considère être une nation. C’est bien d’ailleurs un des seuls points sur lequel les participants finirent par s’accorder : nous constituons une nation.
Quelqu’un a alors mentionné que nous étions « pissous ». Pour votre information, cela veut dire être un trouillard, un peureux. Provenant du surnom que les Anglais nous donnait, soit « pea soup », soupe aux pois, terme péjoratif soulignant le caractère pauvre et soumis. Personnellement, je dirais que c’est probablement le trait qui nous caractérise réellement, pour une vaste majorité, peu importe les milieux. La peur de déplaire, la peur de s’affirmer, la peur de ne pas être politiquement correct, la peur de faire une gaffe, la peur de créer un sommet qui diviserait la société, la peur de vouloir mieux…
Sur ce dernier point, certains affirment que ce serait dû à l’héritage judéo-chrétien. Cela se traduirait par cette sorte d’égalitarisme vers le bas car tous ceux qui osent demander plus que le pain auquel il a droit se fait sermonner par les gens. Pour illustrer ce propos, je citerai le cas de Patrick Huard, humoriste, acteur, et réalisateur québécois, qui fut invité en France pour recevoir un prix. Il exigea alors d’avoir un billet en première classe. Les médias et les forums Internet s’empressèrent de reprendre le sujet pour discréditer l’artiste qui demande plus que ce que le commun des mortels peut se permettre.
Le dimanche en soirée, j’assistais à une conférence de l’un de nos universitaires populaires en ce moment : Mathieu Bock-Côté. Dans son allocution, il s’attarda sur un point qui, je crois, est aussi une des marques de l’identité québécoise : l’aversion pour les extrêmes. Qu’ils soient de gauche, de droite, nationaliste, fédéraliste, chrétien, laïc, altermondialiste, écologiste, financier, peu importe le qualificatif, la grande majorité des Québécois les regardent avec méfiance. Même les actes symboliques divisent la population puisqu’ils sortent de l’ordinaire. Dernièrement, certains étudiants en protestation contre la hausse des frais de scolarité ont fait un mur de briques devant les bureaux d’une ministre symbolisant ainsi le frein à l’accès à l’éducation que causera cette mesure. Plusieurs étaient sympathiques à la cause, plusieurs dénonçaient cet acte jugé déplacé. Les extrêmes divisent la société, ce que les Québécois n’aiment profondément pas. Le désir de consensus, de ne pas diviser la nation, telle est probablement aussi un des traits de l’identité québécoise.
Pourtant, suite à toute cette démonstration de la difficulté de cerner ce qu’est l’identité québécoise même si on peut en distinguer certains contours, je crois qu’il peut aussi en être de même de l’identité flamande, belge et wallonne. L’individualisme exacerbé de nos sociétés modernes remet en cause les liens de solidarité nationale qui nous unit et qui permettent une vie publique. Cet état de fait cause problème lorsqu’il est question de définir ce qu’est une communauté de destin et, ultimement, les projets de société qui en découlent. Comme ultime paradoxe, le confort qu’offrent nos états-providence détruit ce qui leur permet d’exister, soit l’expression de la communauté. De plus, chacun préfère aujourd’hui dénoncer les choses de son salon. Cela ne demande aucun effort, et l’utilisation d’un pseudonyme sur Internet cache les gens derrière un anonymat parfois exagéré car la responsabilité des dires n’existe plus.
Les divisions soulevées dans ce que les Québécois considèrent être leur identité expliquent probablement pourquoi l’affirmation nationale, à l’intérieur du Canada ou pour l’obtention d’un pays souverain, s’avère difficile. Cependant, les dirigeants indépendantistes québécois ont eu le courage de demander, sous forme de référendum, à la population québécoise son avis sur le sujet de l’indépendance. Les Québécois respectant la démocratie, aucune émeute n’eut lieu après les deux défaites de 1980 et de 1995, quoique plusieurs règles ne furent pas respectées et que seulement 1% des gens ont départagé le vote en 1995.
À l’inverse, la Flandre semble être confiante de ce qu’elle est et elle s’affirme à tous les niveaux. Par contre, si les Flamands optent souvent pour des partis nationalistes, voire, indépendantistes, des partis qui réclament davantage de pouvoirs pour leur Région/Communauté, ils ne semblent pas désirer, majoritairement selon les sondages, leur indépendance. Serait-ce là leur propre paradoxe identitaire? Un humoriste québécois illustrait ce type de paradoxe que l’on pourrait résumer par cette phrase : une Flandre forte à l’intérieur d’une Belgique unie.
Par ailleurs, j’écoutais Jean Quatremer, correspondant français à Bruxelles, qui terminait ainsi une entrevue et que je me permettrai de paraphraser : les dirigeants flamands ont peur de tenir un référendum puisqu’ils savent qu’il serait perdu. La stratégie est alors de continuer de vider la substance fédérale afin de mettre la population devant un état de fait, soit un état flamand de facto à l’intérieur d’une fédération vidée de tout sens.
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