Montréal, la mini New York du nord. Si l’appellation est aujourd’hui abusive, il en fut autrement dans la première moitié du vingtième siècle. La période des cabarets battait son plein et les premiers artistes venaient de la Grosse Pomme. Les premiers Canadiens-français tentaient aussi leur chance dans ce monde du spectacle où bien des frontières ont été franchies.
L’image que l’on se fait de New York et de Chicago à l’époque de la prohibition ressemble au Montréal de l’époque, toute proportion gardée. L’alcool coulait à flot, la mafia était bien installée, les cabaretiers faisaient des affaires d’or peu importe le soir de la semaine, même le dimanche…
En effet, la ressemblance pouvait être assez forte : alors que la population montréalaise était majoritairement francophone, l’affichage de la « Main » (prononcé à l’anglaise) ainsi que les artères festifs et fréquentés de la métropole étaient majoritairement en anglais. On magasinait chez Dupuis Frères puisque c’était le seul détaillant francophone, sinon on faisait affaire chez « The Hudson Bay Company » (la plus vieille compagnie d’Amérique du Nord, datant de la colonisation européenne) ou chez Eaton (dont les employés étaient unilingues anglais), on achetait l’électricité auprès de la Montreal Light, Heat and Power, les relations de travail étaient principalement en anglais dans les industries puisque les foremen étaient anglophones.
En effet, on travaillait à la « shop », on « punchait » à la fin de chiffre (quart de travail) et on allait chercher le «package » au « shipping » avec l’aide du « helper ». Tous les mots reliés au monde de la mécanique étaient (et sont toujours) en anglais : le « ratchet », les « breaks », les « gallipers », le « bumper », etc. On allait aux « states » en vacances, on « startait » le « charcoal » et on regardait les « talk-show ».
Beaucoup d’anglicismes, à tel point que les Québécois ont la réputation de mal parler, d’avoir adopté un franglais presque réduit au statut folklorique d’un résidu de l’histoire française sur le continent américain. Pourtant, avec l’avènement de l’affichage bilingue et la volonté de pérenniser le fait français alors que le Québec ne représente qu’une fraction minime de la population du nouveau continent, nous avons traduit tous les termes avec parfois de beaux succès pour la défense de la langue française. Un effort de sauvegarde, identitaire, au sein d’un océan anglo-saxon.
C’est probablement ce qui a amusé mes interlocuteurs lors de mes deux années en Belgique. Je reprenais mes amis avec leurs termes anglophones alors que ceux-ci étaient tellement incrustés que plus personne ne s’apercevait que le mot était originellement étranger. Le « leasing » est un prêt à tempérament, le « take away » est un plat pour emporter, le « ring » est une voie de contournement…
Alors que j’étais à Marseille, nous commandions un « hamburger » au Quick près du port. La caissière nous fait répéter et, après trois fois, nous fait savoir qu’elle ne sait aucunement à quoi nous faisons allusion. Regardant le menu, nous disons alors un « cheeseburger » mais sans fromage, ce que la demoiselle a aussitôt compris, ne se rendant pas compte de l’incongruité de son propos.
Lors d’une présentation orale, nous présentions notre travail sur la présence de la religion sur Internet. J’avais alors insisté sur l’utilisation du mot « clavarder » plutôt que « tchatter » ou « chatter », francisation du terme oblige. J’ai eu l’honneur d’utiliser moi-même le mot, ce qui avait bien fait sourire le professeur d’origine française.
Ma dernière lecture de Jules Verne m’avait d’ailleurs interpellé. Dès la première page de l’Ile à Hélice, le « coach » que les personnages ont pris lors du dernier arrêt du « rail road ». L’utilisation de termes anglais a toujours semblé si séduisant (« sexy ») dans la langue française, comme si cela démontrait l’appartenance à une certaine élite intellectuelle.
Ceux qui m’ont côtoyé doivent aussi fortement se rappeler mon insistance sur l’utilisation du terme « fin de semaine » plutôt que « weekend ». L’utilisation du terme anglais de façon courante remonte pourtant seulement au XIXe siècle. Mais les réactions ont été diverses sur ce point. Certains prenaient un malin plaisir à me rabrouer avec ma défense du français, d’autres s’efforçaient de corriger le tir, la plupart me laissait faire.
C’est cette attitude qui me dérangeait le plus, ceux qui ne réagissait pas. À l’instar de plusieurs de mes compatriotes, l’indifférence l’emporte souvent. Ce comportement n’est pas seulement au niveau de la langue : il s’applique aussi à l’économie, à la politique, aux causes locales et mondiales, à la vie sociale en générale. Ce qui interpelle les gens, c’est leur bien-être, leur confort, leur loisir. Pourquoi pense-t-on que l’économie est la variable déterminante lors des élections si ce n’est que l’individu moyen se préoccupe de lui-même et de ses proches. Un sentiment normal, certes, mais qui ne peut soutenir la démocratie qui demande plus de ses citoyens. On ne naît pas citoyen, on le devient.
Durant les décennies 60 et 70, au Québec, les gens en ont eu assez de la sur-représentation de l’affichage anglais alors que plus de 85% de la population était francophone. Le but n’était pas d’éliminer leurs droits mais bien de faire prévaloir ceux de la majorité. C’était l’époque de l’effervescence identitaire et les premières lois linguistiques ont été établies. Les gens se sont mobilisés pour exiger d’être servis en français dans les restaurants et les centres d’achat (« shopping center »). En 1982, l’introduction de la Charte des droits et libertés lors du rapatriement de la Constitution canadienne a réduit la portée des lois linguistiques.
Aujourd’hui, les gens se mobilisent à nouveau car on peine encore à se faire servir en français dans les restaurants montréalais…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire